Par lettre de mission datée du 7 février 2019, les ministres chargés de l’économie, des comptes publics, de la cohésion des territoires et du logement avaient demandé à l’inspection générale des finances (IGF) et au conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) une analyse portant sur l’opportunité et les conditions d’une diversification des modes de financement du secteur du logement social. Le rapport remis au gouvernement en juillet 2019 n'a été rendu public que le 21 novembre, ce qui laisse perplexe. Car entre-temps, le sénateur LR Philippe Dallier a tenté dans un rapport parlementaire d'ouvrir un contre-feu contre une irruption de capitaux privés dans un secteur dont les capacités de financement ont été amputées fortement par le gouvernement dans le budget 2018 et avec la loi ELAN.
Le rapport de l'IGF, le corps le plus prestigieux de l'Etat, mais le plus sujet aux allers-retours avec le privé et le plus perméable aux volontés des milieux financiers, dresse un panorama du financement des organismes de logement social, tant en ce qui concerne le recours à l’emprunt que les fonds propres, les bailleurs sociaux fonctionnant en circuit capitalistique fermé. Il constate que l’équilibre financier des nouvelles opérations s’avère plus difficile à trouver, à cause de la hausse du coût de revient de ces opérations, de la part moins importante des subventions publiques dans les plans de financement, et de la ponction de l'Etat : la "réduction de loyer de solidarité" (la fameuse RLS) imposée aux bailleurs pour permettre la réduction des aides personnelles au logement (APL) - 1,3 milliards en 2020. Ainsi pour maintenir dans les années à venir les objectifs de construction ambitieux, notamment en zone «tendue », la question de l’irruption de capitaux privés se pose selon les auteurs.
Le rapport présente les avantages et les inconvénients de diverses options possibles pour l’entrée d’investisseurs institutionnels dans le secteur du logement social. Cependant, la mission souligne préalablement que l’intérêt des investisseurs privé, lié à la baisse de la rentabilité des autres classes d’actifs dans l’immobilier, dans un contexte d’abondantes liquidités à investir, pourrait n’être qu’un intérêt par défaut et ne pourrait porter que sur des opérations immobilières récentes, à forte visibilité, réalisées notamment dans le logement intermédiaire. La rentabilité recherchée par la majeure partie des investisseurs rencontrés serait un rendement constant, d’environ 3%. D’une manière générale, il ne faut pas attendre des investisseurs privés qu’ils se portent vers le logement très social ou les zones « détendues », indique le rapport. Néanmoins l’une des pistes envisagées est de ne plus considérer le logement social comme l'apanage d'un secteur spécialisé, mais de l'ouvrir à tout acteur - public ou privé, entreprise ou particulier - qui respecte des règles préétablies, dont notamment des plafonds de loyers. Demande formulée depuis longtemps par le lobby des propriétaires privés et défendue par les milieux libéraux.
L’Union sociale pour l’habitat (USH) a toujours été vent debout contre cette revendication qui vise à tuer le modèle français, dont l'Europe redécouvre les vertus au vu des échecs cuisants de la libéralisation et de la financiarisation du logement social dans certains autres pays européens : Royaume Uni, Pays Bas, Allemagne... Concernant cette dernière, les auteurs du rapport reconnaissent eux-même que "l’exemple de l’Allemagne depuis 25 ans montre en effet que l’application des modèles de rentabilité des investisseurs privés sans protection du parc social a conduit à la vente de logements en quantité très supérieure à celle des constructions. L’Allemagne est passée d’un modèle "généraliste" à un modèle "résiduel" de logement social, et a également connu de fortes hausses de loyers dans les zones attractives ».
Réagissant vivement par voie de presse à la publication du rapport, l'USH avertit du danger, et dénonce la mécanique mise en place depuis 2017 :
« - Baisse des APL pour les locataires du parc social et mise en place de la RLS, supportée par les organismes Hlm : pour rappel, le total des économies réalisées par l’Etat sur le financement du logement social s’élève à plus de 7 milliards d’euros entre 2017 et 2020 ;
« - Nécessité pour les organismes Hlm, pour satisfaire les besoins d’investissement, d’accroître leur endettement ;
« ...Et aujourd’hui, un rapport administratif « constate » la nécessité d’ouvrir le financement du logement social à des acteurs financiers privés. »
Autrement dit, Bercy, initiateur de la politique du gouvernement depuis deux ans s'érigerait en pompier après avoir consciencieusement mis le feu !
Pour Jean-Louis Dumont, président de l’Union sociale pour l’habitat, « il est devenu dans les habitudes de Bercy de maltraiter le logement social. Avec ce rapport, les masques tombent. Et je pose une question : quels intérêts sert ce rapport ? Celui des intérêts financiers qui conçoivent l’immobilier social comme une opportunité par temps de taux bas, ou ceux des habitantes et des habitants qui vivent dans un logement social ou attendent un logement social ? Le choix de la privatisation du logement social, d’autres pays l’ont fait et cela a eu des effets désastreux. Je ne souhaite pas à la France, pour sa cohésion, ses territoires, son économie, de vivre la même expérience. Le logement social est au service des personnes et des familles qui ont des revenus modestes, ça n’est pas qu’une affaire de tableur Excel. »
Embarrassé, le gouvernement s'est distancé le jour même de ce rapport. Le ministre en charge du logement, Julien Denormandie a assuré sur Twitter s'y être « toujours opposé.» « Il s'agit là d'un rapport et pas d'une position du gouvernement », a-t-il twitté.
|